L’Indonésie sauvage de Matthieu

Matthieu, adepte des longs voyages où le temps prend une autre dimension, revient d’Indonésie où il a passé 3 mois. Amoureux des oiseaux, des rencontres authentiques et de l’imprévu, il ne rentre clairement pas dans la case du « touriste » qui voit (rapidement), qui part (vite) et qui oublie. Ses voyages, d’abord il les économise longuement, il les vit intensément, puis les savoure et en tire une philosophie de vie.
Interview 3 trois jours après son retour d’Indonésie, l’occasion d’aborder concrètement ce que signifie voyager dans un pays si porteur de fantasmes, et de revenir sur une situation écologique catastrophique.

AS-TU PRÉPARÉ TON ITINÉRAIRE A L’AVANCE OU L’AS-TU CHOISI SUR PLACE ?
J’ai choisi les îles de Sumatra et de Java pour leur végétation. J’avais envie de commencer par l’ouest. Je n’ai pas planifié de visite, je me suis laissé guider par les rencontres et les bons plans des autres voyageurs, je n’ai rien prévu à part deux trois points de chute. J’ai fait des endroits qui n’étaient pas prévus, et je ne l’ai pas regretté.
Mais le fil rouge de mon voyage était la découverte des oiseaux. Finalement, j’en ai plus vu en cage qu’en pleine nature… Il faut savoir que là-bas tu as raté ta vie si tu n’as pas d’oiseaux. C’est ancré dans la culture. Il existe 5 piliers qui démontrent que tu as réussi ta vie, et les oiseaux en font partie. Il existe beaucoup de vendeurs sur les marchés; j’aurais bien ouvert toutes ces cages !

Sumatra n’est vraiment pas touristique. J’étais 90% du temps le seul touriste dans les bus, restaurants, etc. L’île est grande (à titre de comparaison, la France fait 643 801 km² et Sumatra 473 481 km²), et les transports y sont très longs, c’est pour cela que j’ai prévu un séjour de 3 mois. Malgré ca j’ai tout de même l’impression d’avoir survolé l’île, de ne pas m’être assez imprégné de la culture. J’y retournerais au moins 2 fois. D’ailleurs, je ne me dis pas je suis allé en Indonésie, mais que je suis allé à Sumatra et à Java…

Mon premier point de chute fût la ville de Medan au nord, mais elle n’a pas grand intérêt. Puis je suis parti à Ketambe pour 6 jours.
Je suis allé également dans la région du Kerinci car elle est réputée pour ses oiseaux (j’y ai pris un guide). Mais aussi pour ses volcans et ses forêts. Et des plantations de thé à perte de vue. C’est très humide mais vraiment à voir.


QUELLES FURENT TES PREMIERES IMPRESSIONS ?
D’ entrée de jeu tu comprends que c’est un pays ultra riche culturellement parlant. Il existe 700 dialectes à travers le pays ! Beaucoup de tribus, plus ou moins reculées. Chaque île a sa particularité.
Je me suis vite aperçu que la communication allait être difficile, même si les sourires marchent bien, car c’est une population très avenante.

Mon parcours s’est fait chez les backpackers car je n’aurais pas pu communiquer avec les habitants. Ils ne parlent pas anglais et mon indonésien se résume – pour l’instant – à quelques mots : je sais dire bonjour, compter et remercier. La frustration de ne pas pouvoir communiquer fût grande. Ca a été un gros manque, bien que j'en fût conscient avant de partir. J’ai utilisé Google traduction pour la première fois de ma vie et ca m’a bien dépanné.

A Sumatra, ce qui m’a frappé c’est à quel point la population est à fond dans la religion (musulmane). La charia est appliquée. Même la façon dont une femme doit s’asseoir sur un scooter est imposée. La nouvelle génération commence à cracher un peu là dessus, car c’est compliqué pour les jeunes, ils sont perdus, c’est trop strict, ils n’ont le droit de ne rien faire. J’ai rencontré un groupe de 4 étudiants. Ils mentent à leurs parents 24h/24 pour avoir un peu de liberté d’action. Ils aimeraient avoir le choix de leur religion.

En tout état de cause, discuter un peu avec les gens là-bas remet les idées en place ! Je me dis que je suis un sacré privilégié de pouvoir voyager partout dans le monde et choisir mes préférences religieuse et sexuelle, d’avoir un pouvoir d’achat.
Ca fait longtemps que j’ai été remis à ma place, ca fait 15 ans que je voyage, mais n’empêche que je ressens toujours ce décalage.

La pauvreté ne m’a pas marquée. Il ne semble pas exister de grosses disparités de classes, de classe moyenne importante. Ils sont tous un peu pauvres. Ils se débrouillent mais ce n’est pas la grosse misère, comme on peut le voir en Inde par exemple. Et toujours une grosse joie de vivre.

Je suis allé dans la vallée d’Harau, dans le Sumatra occidental. On l’appelle le Yosemite de l'Indonésie parce que c’est très vert et vallonné. Cascades, rizières et falaises : c’est très sympa et vraiment peu touristique (peu d’hébergements).

Je suis resté 3 semaines à Pulau Weh, au nord de Sumatra, le temps de renouveler mon visa. C’est mon coup de cœur. C’est à 1h30 de Banda Aceh par bateau lent et 45 min en bateau rapide. Super ambiance. Tout est strict dans cette région à cause de la religion, mais les gens y sont plus détendus car il y existe moins de contrôle dans les îles que dans le reste du pays. Notamment sur l’alcool.
J’y ai rencontré des français. C’est une ambiance plongeurs. J’y ai passé mon niveau 1. Mais le snorkeling est déjà top. On y voit beaucoup de dauphins, surtout à 6h du mat. C’est l’heure à laquelle ils cherchent à manger donc il y a plus de chance de les croiser que l’après midi. Ils étaient une cinquantaine à nager autour du bateau !
Il existe 2 villages à Pulau Weh : Gapang (orienté plongée, deux trois hôtels seulement) et Iboih où j’étais, plus touristique mais ca reste raisonnable. Les plages sont magnifiques, l’eau est d’une limpidité absolue, elle foisonne de poissons.

On peut y louer un scooter pour l’équivalent de 5€ la journée pour faire le tour de l’île.

Pour également 5€ je louais un bungalow privé en face de la mer, le Yulia.


TU AS EFFECTUÉ UN TREK DE 3 JOURS A KETAMBE AU NORD OUEST DE SUMATRA POUR OBSERVER LES ORANGS OUTANS ET LES OISEAUX. ÉTAIT-CE FACILE ? AS TU VU LES EFFETS DE LA DEFORESTATION ?
J’y ai passé 6 jours en tout mais parce que j’ai dû attendre 3 jours pour trouver un guide qui me corresponde, c'est-à-dire qui connaisse bien les oiseaux. La faune, il faut parfois aller la chercher, la mériter, pour vivre des rencontres animales intenses.

On a commencé à 3 puis je me suis retrouvé seul avec mon guide le dernier jour. Il est toujours devant et il voit tout, donc c’est safe. Il m’a désigné un serpent sur un arbre que j’ai mis au moins 2 minutes à trouver. C’est fou !

3 jours de trek c’est le minimum pour bien profiter. Le 2eme jour on s’est baigné dans une source d’eau chaude naturelle. C’est inratable !

Je n’ai pas été déçu, ce fût intense. Il n’y a pas beaucoup de marche à prévoir. Le 1er camp de base n’est qu’à 2h de marche et ensuite tu gravites autour mais c’est plus de la balade que de la randonnée. Sans problème pour les néophytes. Par contre le taux d’humidité est de 90%....

J’ai fait appel à l’agence Johny Jungle que j’ai trouvé via Voyage forum, où j’ai toujours trouvé une mine d’or d’infos pour mes voyages. Tarif tout compris (trek, logement, nourriture) : 400 000 roupies soit 23€ la journée. Mais attention c’est rudimentaire, il ne faut pas avoir peur de perdre son confort. Au camp de base on dormait par terre dans un duvet sous une tente faite de bâches, on se lave dans la rivière. On avait un cuisinier qui partait avant nous pour commencer à installer le camp. Niveau moustique je m’attendais à pire.

J’ai eu de la chance de voir autant d’orangs outans parce qu’ils ne sont pas faciles à observer. J’ai croisé deux groupes qui n’en avait vu aucun en 2 jours, alors que moi tous les jours !

Il existe deux endroits dans le pays où les observer : Ketambe, et Bukit Lawang mais ce dernier est beaucoup plus touristique. Ils nourrissent les orangs outans pour les attirer, du coup ils sont moins sauvages.

Les orangs-outans de Bukit Lawang sont semi-sauvages, issus d'un ancien centre de réhabilitation fermé en 2002.

J’avais envie de quelque chose de plus authentique. Ketambe en revanche est moins facile d’accès. Il faut rallonger de 6 h par rapport à Bukit Lawang. J’ai vu beaucoup de plantations de palmiers, surtout au sud est; il y en avait énormément.

Avec la Malaisie, l’Indonésie est un des leaders mondiaux de la production d’huile de palme (85 à 87 % de la production mondiale à eux deux selon les sources), qui sert tant à l’industrie agroalimentaire (à 80%), à la production de biocarburants et même de cosmétiques. Cette huile très productive (un palmier à huile produit environ 40 kg d'huile par an, pour une durée de vie de trente ans), pratique (elle résiste bien aux traitements de conditionnement des aliments et à la cuisson) et moins chère que les autres, est très attractive pour les industriels et devient un levier économique indispensable dans certains pays.


Le problème c’est que pour pouvoir produire de plus en plus d’huile, le pays « bouffe » ses forêts et produit ainsi une double catastrophe écologique : une augmentation importante  (15 % à 20 %) du gaz à effet de serre (l’Indonésie était en 2017 à la 3ème position de producteur de gaz à effet de serre !) et donc du réchauffement climatique, et encore plus directement la destruction de l’habitat d’espèces telles que les orangs outans devenus emblématiques de cette catastrophe. En Indonésie ce sont des millions d’hectares de forêts perdus, les îles de Sumatra et de Bornéo étant les plus touchées.

Crédit photo Le Figaro


L’orang outan vit essentiellement dans les arbres, il y trouve sa nourriture, y dort… sans forêt que peut-il donc devenir ?


Il nous est devenu impossible de ne pas faire le lien entre notre consommation et ses effets désastreux. Certains industriels, comme Nestlé (peut être fortement aidé par la campagne de Greenpeace mettant en scène un produit Nestlé)
, Unilever, Findus et Cadbury, ont cessé d’utiliser l’huile de palme dans leurs produits et il est de plus en plus courant de voir la mention « sans huile de palme » pour certains gâteaux (Gerblé par exemple), ou margarines, etc. Cependant il faut rester vigilant et vérifier les étiquettes, d’autant plus qu’elle n’est parfois signalée que par « huile végétale ». Ferrero en revanche, malgré la polémique qui a même amené les députés à vouloir mettre en place une « taxe Nutella », ne semble pas vouloir se débarrasser de ce composé ultra rentable, puisque l’huile est toujours plus que présente dans le Nutella. Ils viennent même de sortir une nouvelle gamme de produits (Nutella B-ready) avec toujours la même huile, à grand renfort de publicité montrant une scène de vie familiale insouciante, histoire de contrer leur image déclinante… bullshit. Le groupe préfère s’engager dans un processus de contrôle de la déforestation avec leurs producteurs indonésiens, jugé insuffisant par Greenpeace, lesdits producteurs, tels que Sinar Mas, ne respectant pas le contrat...

Sinar mas s’était engagé à ne pas convertir des terres présentant de fortes capacités de stockage de carbone, comme les tourbières et les forêts primaires. Sauf qu’ici un engin travaille sur une ... tourbière. Crédit photo Greenpeace.


Il est urgent, non pas de supprimer la culture de l’huile de palme car trop de gens en dépendent économiquement, mais de faire baisser sa production afin de stopper cette déforestation folle et revenir à une production raisonnée.


A Java
j’ai escaladé le volcan Bromo, c’est ultra facile. L’excursion en jeep est payante : tu partages une jeep à 30€ à 4 personnes soit à peu près 8€ par personne. Même en basse saison il y en a beaucoup trop, je trouve ca horrible. Du coup je l’ai fait – gratuitement –  à pied. 1h15 de marche. Je suis parti à 3h du mat pour voir le lever du soleil. Le gros avantage c’est qu’au contraire des randonnées en jeep, tu n’es pas chronométré, au bout d’une heure tu t’y retrouves seul parce qu’ils sont tous partis. 

Le blog Mi fugue mi raison donne des infos intéressantes là dessus, avec une carte interactive. C’est là que j’ai trouvé l’itinéraire, qui n’est pas compliqué.
Le 2ème volcan connu à Java est le Kawah Ijen, où l’on peut voir des « blue fire » la nuit, des flammes bleues sortant du cratère.

Mais je n’ai pas voulu y aller. Des gens y récoltent du soufre toute la journée dans des conditions déplorables. Toi tu es là à grimper et à les observer cravacher comme des fous... Ce coté voyeuriste me dérange fortement. 

Le cratère abrite un lac turquoise acide d’où émane du soufre, qui se cristallise en refroidissant et forme des plaques de couleur jaune, que les villageois récoltent dans des paniers pour les revendre. Un travail exténuant et dangereux à cause des vapeurs toxiques (pour descendre au volcan il faut porter un masque à gaz) qui réduit leur espérance de vie à 50 ans… Difficile de profiter pleinement du spectacle lorsque l’on sait que des gens travaillent toute l’année dans ces conditions.

Je suis allé au plateau de Dieng, une région géothermique avec des sources d’eau chaude. Mais le côté trop touristique m’a déçu. Ils ont bâclé le truc. A côté d’un des lacs bouillonnants des gens font du quad donc c’est bruyant. Des vendeurs te proposent tout et n’importe quoi... les touristes étaient tous des locaux, mais je n’ai pas aimé l’esprit.

UN AUTRE COUP DE CŒUR APRES PULAU WEH ?
Oui, Karimunjawa ! Un archipel de 27 îles magnifiques dans la mer de Java, avec de la mangrove et des plages de dingue. Les plus belles qu’il m’ait été donné de voir ! Inratable. Il faut y rester au moins une semaine. Pour la plongée ce n’est pas terrible mais on peut y faire du snorkeling pour les coraux en revanche. Je regrette même de t’en parler parce que c’est tellement beau que j’ai peur que les gens y débarque en masse lol


On rejoint Karimunjawa, soit par ferry depuis 
Jepara, soit en vedette rapide depuis Semarang.

Il y a un marché au poisson tous les soirs sur le terrain de foot. Tu commandes pour pas cher et tu dégustes sur les tables. Délicieux. Avec un petit jus de fruit fait maison… le paradis.
Il faut y louer un scooter. Question hébergement les auberges sont sympas et pas chères. Je recommande The Bodhi Tree Hostel, top pour l’ambiance.

Mais de manière générale, l’ambiance est vraiment bonne là bas, tout le monde se connait. La population parle anglais donc il y a plus d’échange possible avec les locaux.

J’ai bien aimé Yogyakarta, une des plus grosses villes, elle vaut le coût. Street art partout, des marchés sympas, ce n’est pas trop le chaos niveau trafic, et tu peux y rester 5/6 jours facilement avec tout ce qu’il y a à faire aux alentours.


QU’EST-CE QUE TU AS LE MOINS APPRÉCIÉ ?

La réserve ornithologique de Ugung Kulon près de Jakarta. Personne n’y va de toute façon, j’étais le seul touriste ! C’est très sauvage, les routes sont les pires du pays, et niveau hébergement c'est pire que rudimentaire; tu dors par terre avec les cafards !  Et en plus c’est cher : quasiment 100 € le bateau. Je ne le recommanderais pas, j’ai vu beaucoup mieux pour l’observation des oiseaux.
Sinon,  je n’ai pas aimé Jakarta.

DE MANIERE GÉNÉRALE, AS-TU DES CONSEILS POUR S’ORGANISER LA-BAS ?
Aller sur Voyageforum.com, où j’ai toujours trouvé une mine d’infos pour mes voyages.
Dans le sac à dos : anti moustique, une bonne crème solaire car même en basse saison le soleil est violent, boule Quiès pour ne pas être trop dérangé par les appels très matinaux à la prière, un bon k-way.
Je n’ai jamais eu froid là-bas. J’y suis allé au début de la saison des pluies mais je n’ai eu qu’une journée complète de pluie en 3 mois. Sinon cela ne durait que 30 min en début d’après midi et de plus c’est une pluie chaude.
Il y a des bus partout et tout le temps. Tu attends maximum 1h pour en avoir un, mais le plus souvent dans les 5 mn ou le quart d’heure. Par contre pour les trajets il faut s’armer de patience parce que les routes sont en lacets, sinueuses. Il faut 5 heures pour faire 200 bornes.

POUR TOI QUI A DÉJÀ BEAUCOUP VADROUILLÉ, QU'EST CE QUI TE RESTERA DE CE VOYAGE ?
C’est un pays à visiter en profondeur. Il y a trop de choses à voir encore, je ne peux pas encore avoir d’avis tranché sur l’Indonésie. Mais bien sûr j’ai adoré. Lors de mes premiers voyages j’avais un ressenti particulier que j’ai moins aujourd’hui. Je ne suis pas blasé, mais rodé. Disons que mon émerveillement est moins intense qu’il y a 10 ans. J’ai passé 10 mois en Amérique du Sud à sillonner la Colombie, l’Equateur, la Bolivie et le Pérou, 6 mois en Nouvelle Zélande et 6 semaines en Chine. Parmi tous ces pays, mon top 3 serait :

  • La Colombie
  • La Nouvelle Zélande
  • L’Indonésie

Pour mon prochain voyage je retourne en Indonésie, pour découvrir Sulawesi (et la culture Toraja), Moluk, et Komodo.


Quel drôle d'oiseau celui là :)

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