Le voyage m’a accompagné dans beaucoup d’étapes de ma vie. Peu importe la destination, il s’est fait contextuel, à traduire mon état d’esprit, d’ouverture ou d’isolement, ma réflexion intérieure du moment.
Il m’a toujours appris quelque chose, toujours enrichie, en mettant en lumière certains aspects des autres ou de moi-même.
Mon expérience à Madagascar n’a pas dérogée à cette règle.
Quelques jours avant mon départ prévu, j’apprends une terrible nouvelle, de celles qui bouleversent la vie d’une femme et parfois même redistribuent les cartes de celle-ci : la mort de son père.
Du déni, des pleurs, de la détresse, des regards perdus, des images qui tournent en boucle dans un cerveau qui n’assimile pas encore l’information, des regrets, des sanglots anonymes étouffés du fond d’une église, un défilement de masques tristes qui portent tous en eux un moment, un échange de rires, une main tendue. Un peu de lui qui font qu’ils sont là eux aussi aujourd’hui, témoins de facettes que j’aurais tant voulu avoir mieux connues.
Le problème avec les hommes modestes, c’est qu’ils n’aiment pas parler d’eux. Par la force des choses, c’est au travers des autres que vous apprenez à mieux les connaitre, à comprendre de quel bois véritable ils sont faits, ce qui les a mus durant leur vie. Ainsi j’ai un peu mieux compris ce que je savais déjà : que mon père était profondément humain, généreux, porté tout au long de sa vie par le besoin fondamental d’aider les autres, d’apporter sa contribution, de s’inscrire dans son territoire, dans sa communauté. Et que pour lui, tout cela était normal.
Durant tout l’office, un élément perturbateur à l’allure presque mystique a attiré mon attention : une chauve souris survolait l’autel et le cercueil. Elle devait sûrement élire domicile dans les plafonds sombres et froids de la nef de cette église. Mais elle était seule.
Ma sœur a dit plus tard : " Vous croyez que c’est papa qui s’est réincarné ? Oh non il n’aurait pas choisi une chauve souris. "
Le départ
Prendre le train, manger, se réveiller, finaliser sa valise, tout cela comme un automate. Comme si une partie de mon cerveau était indisponible, gelé, et que toute mon énergie salvatrice se focalisait sur ces quelques tâches. Avancer.
" When you don’t know what to do, do something "
C'est la première fois que j’entrevoyais un voyage comme la lumière d’un phare pour le naufragé, une bouée dans un océan de pleurs, l’émergence d’un peu de lumière dans un manoir sombre hanté de regrets et de moments perdus.
Me laisser emporter par le tourbillon d’un pays immense et d’un carnet de route surchargé. Engloutir des kilomètres qui me distanceraient un peu plus chaque jour de ce cimetière où reposent deux hommes que j’aime.
Après 5 heures d’escale à dormir sur les sièges inconfortables de l’aéroport de Saint Denis, entre rêves brumeux et réveils hirsutes, j’ai réembarqué pour Tana, la capitale de Madagascar.
De fait, après être arrivée exténuée, d’humeur apathique et maussade, mon esprit a réussi à se déconnecter et à vivre l’expérience, durant ces 3 semaines de nouveaux paysages, de rencontres, de galères mécaniques (4 !), de paysages magnifiques et surprenants.
Soutenue par un soleil brûlant qui peu à peu me réchauffait le cœur, et d’un ami sur qui je pouvais compter : voila ce qui fût ma thérapie.
Je réussissais même à compartimenter mon cerveau pour tenir éloignées mes pensées tristes et mes regrets, dans un tiroir fermé à double tour. Je voulais me focaliser sur mon environnement, contextualiser ma peine pour la tenir éloignée, accumuler des forces pour la confronter à mon retour. Mais l’inconscient est un compagnon bien fourbe qui peut vous rappeler à lui à tout moment. Et vous portez les être aimés partout où vous allez.
Ce que j’ai appris
Chaque épreuve doit nous enseigner quelque chose, autrement sa cruelle absurdité serait trop insupportable.
Parmi les paysages surprenants de Madagascar se trouvent des grottes, de différentes formes et grandeurs. Dans l’obscurité de celles du Parc de l’Ankarana, un bruit singulier se fait entendre, comme un dialogue constitué de petits cris aigus. Vous ne pouvez pas les voir mais vous savez qu’elles sont là : les chauves souris.
Je ne crois pas beaucoup aux coïncidences. Sans vouloir donner à tout prix une signification à toute chose et hasard, je m’efforce d’être attentive aux messages et à une éventuelle synchronicité*, à laquelle je crois, parfois.
La chauve souris. Un animal ayant besoin à la fois de l’obscurité et de la lumière. La vie, en somme. Il y aura toujours des moments sombres, mais ceux-là même nous permettent d’apprécier à sa juste valeur les passages lumineux de notre vie, et la caresse du soleil.
Les morts de mon frère et de mon père ont tour à tour assombri mon existence. Ils sont repassés dans l’obscurité, après avoir vécu une vie lumineuse, aussi bien pour eux que pour leur entourage. Mais ces vies là par leurs choix, actions et droitures, constituent la plus solide des bases. Elles m’apporteront à jamais la lumière et l’éclairage nécessaires dans les moments de doute. Comme des totems intérieurs, sur lesquels m’appuyer et m’inspirer, une force protectrice qui me permet d’apprivoiser enfin la plus importante des choses dans notre condition humaine de pauvres mortels : l’acceptation.
Lors d’une réunion à laquelle je participais, réunissant des inconnues, l’animatrice nous a posé cette question : " Qu’avez-vous fait cette année, qui pourrait vous avoir marquée à jamais ? ". Quand mon tour est venu, j’ai évoqué ce voyage et les circonstances dans lesquelles il s’est déroulé. M'attendant à être mal jugée, je fût en fait surprise des réactions spontanées de plusieurs participantes, parties en voyage dans les mêmes circonstances, souhaitant exprimer le bien que cela leur a fait. Se reconnecter à la vie, au Beau, comme remède pour ne pas sombrer, et tenir à distance une douleur que de toute manière vous allez devoir affronter à un moment ou à un autre. Il m’est venu alors à l’esprit que ce genre de témoignage pouvait aider d’autres personnes, ne sachant réagir entre une vie qui prend fin, et celle qui continue.
J’ai lu quelque part : " Si le monde est à l'envers, les chauves souris ont tout compris ".
SUR LE MEME SUJET :
Thérapie existentielle de Irvin Yalom
Une vision assez exhaustive des grandes angoisses « existentielles » de l’Homme, donnée par un thérapeute. Même si le livre semble avoir été écrit surtout pour les thérapeutes, certains passages donnent des clés de compréhension de nos peurs et des solutions, illustrées par des exemples concrets. Tout le monde ne se sentira pas concerné par toutes les thématiques (heureusement!), mais beaucoup sont intéressantes pour donner un nouvel éclairage à nos réactions et souffrances.
Article How to Grow from Your Pain de Mark Manson
Comme toujours Mark Manson livre un texte emprunt de ses recherches, réflexions et philosophie. Et comme toujours il tape dans le mille, sans fausse naïveté et clichés.
La Succession de Paul Dubois
Un homme est confronté au décès de son père et à la succession qui s’en suit. Une écriture pesée, directe, pas un mot n’est de trop.
Des tournures tantôt poétiques, tantôt acerbes. Une vision drolatiquement sarcastique de la résilience et des problématiques familiales.
* La synchronicité est une prise de conscience inconsciente de la vie. C’est un ensemble de messages qui vous accompagnent dans les moments où vous en avez besoin pour prendre les décisions dont vous avez besoin.
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