Rivo
La belle âme malgache

Rivo

Un pays, c’est pour moi, un visage, un sourire, un accueil, un prénom, bien plus que des villes, des montagnes, des forêts ou des rivières.

Pierre Fillit

Si Madagascar avait un prénom, un visage, pour moi, ce serait le sien. Rivo, jeune papa de 31 ans, amateur de pulls rayés et de bob orange, est un véritable couteau suisse. Tour à tour chauffeur, mécanicien, voire infirmier,  il connait son métier jusqu’au bout des doigts, et ne cesse d’admirer « son île » au fil de ses virées sur les routes cahoteuses de Mada.

Une vraie rencontre, touchante, mais qui inspire à la réflexion. Son parcours et ses rêves tués dans l’œuf en disent long sur les difficultés que rencontrent les malgaches aujourd’hui. Pas suffisamment d’accès à l’éducation, un manque criant d’infrastructures, peu de chance d’évoluer et de s’élever socialement, et un gouvernement ne se souciant pas vraiment de son peuple, en dehors des périodes d'élections... Rivo fait tous les jours beaucoup, pour avoir peu.

 

  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Rivo, pourquoi es-tu devenu chauffeur ?
  • RIVO – Parce que j’aime ce métier, et aussi parce que je n’ai pas le bac.
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Tu n’as pas pu aller au bout de tes études ?
  • RIVO – Mes parents étaient pauvres alors j’ai commencé à travailler à 18 ans.
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE  Tu as été mécanicien aussi ?
Galères à Madagascar

 

  • RIVO – Oui. C’est pratique parce qu’ici les routes cassent les voitures. Il y a trop de trous. Mais moi je sais réparer et je sais où amener la voiture. Si les routes étaient réparées on irait beaucoup plus vite et il y aurait moins de pannes. Mais ca n’arrivera pas.
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Tu rêves de quoi aujourd’hui ?
  • RIVO – Mon rêve ce serait d’avoir ma propre voiture pour travailler mais ca c’est impossible.
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Pour quelle raison ?
  • RIVO – Les banques malgaches ne prêtent pas si ta famille n’est pas propriétaire et ma mère n‘a rien. J’ai beaucoup de clients mais comme je loue les véhicules je dois reverser une grosse partie au propriétaire. Il ne reste que 20 % pour moi.
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Alors que tu fais tout le travail... Et pourtant tu aimes ton métier?
  • RIVO –  Oui parce que je suis libre et je vois tout de mon île.
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Les malgaches ne voient pas leur île ?!
  • RIVO – Beaucoup sont trop pauvres pour voyager même dans le pays.
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE. – Depuis combien de temps es-tu chauffeur ?
  • RIVO – 13 ans, j’ai commencé en 2005.
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Et comment tu dégotes tes clients ?
  • RIVO – Uniquement par le bouche à oreille. Les clients partagent mon numéro.
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Quel est l’endroit que tu préfères à Madagascar ?
  • RIVO – Le parc Isalo et les Tsingy de Bemaraha 
Rivo à Morondava

Les banques malgaches ne prêtent pas si ta famille n’est pas propriétaire et ma mère ne possède rien.
J’ai beaucoup de clients mais comme je loue les véhicules je dois reverser une grosse partie au propriétaire. Il ne reste que 20 % pour moi.

 

  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Pourquoi?
  • RIVO – J’adore la piscine naturelle de l’Isalo. Et la forêt de Ranomafana aussi.
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Mais les routes sont dangereuses c’est ca ?
  • RIVO – Oui, il faut rouler de jour, jamais la nuit. J’aime le nord aussi, mais les routes sont mauvaises, pires qu’au sud.
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Et si demain tu pouvais partir en voyage dans un autre pays, quel serait-il ?
  • RIVO – A Paris mais c’est impossible. Je n’ai pas assez d’argent. Mon père est mort il y a 2 ans et ma mère ne travaille plus parce qu’elle a déjà 65 ans.
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Et tu t’occupes d’elle ?
  • RIVO – Oui mais j’ai aussi 1 frère et 2 sœurs. Ma mère vit avec mon fils à Ivato.
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Quel âge a t’il ?
  • RIVO – Il a 9 ans, il s’appelle Aina. Il étudie le français et l‘anglais à l’école parcequ'il voudrait devenir guide plus tard.
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Est-ce que tu trouves que la vie des malgaches s’est améliorée ces derniers temps ? Est ce que tu vois une évolution ?
  • RIVO – Oui et non. C’était mieux il y a 3 ans. A cause des élections. Et après ca redevient comme avant. C’est ça le problème de mon pays.
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Tu voudrais pouvoir travailler plus ?
  • RIVO. – Oui, je ne voyage qu’une à deux fois par mois avec mes clients. Mais le problème c’est que la voiture n’est pas à moi.
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Tu es un peu infirmier aussi ?
  • RIVO – Infirmier?!
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Oui c’est celui qui soigne les gens.
  • RIVO – Ah ! oui, je sais quel crème acheter pour soulager les muscles.
  • LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Et j’ai remarqué que tu étais toujours à l’heure.
  • RIVO – Oui, si le client est content, je suis content. Je ne veux pas qu’il attende et la route est longue…

 

AINSI PARLA RIVO TSIHORIMAMANA.

Rivo et serpent
Rivo
Rivo et maki

Rivo possède un de ses visages qui touchent. Derrière sa mauvaise diction en français, son empressement à aider, à résoudre les problèmes, à satisfaire, derrière aussi les mots qu’il ne dit pas – ou mal, se lit une âpreté de la vie, une fragilité attendrissante. C’est le visage de la difficulté d’un peuple dans un pays aussi chaotique que ses routes. Où seuls la famille, le culte des ancêtres et l’espoir d’un meilleur avenir pour les enfants aident à tenir.

« Ny fianarana no lova tsara indribdra » : L’education est l’héritage le plus sûr.

 

Rivo Mada Voyage

+261 33 03 460 82

Rivo

Il est vrai que les malgaches ne la jouent pas collectif.  Comme l’explique le Père Pedro :

 

Il faut que les populations cessent de se considérer comme victimes, qu’elles reconnaissent leur part de responsabilité et s’habituent à penser sur le long terme. Mais on en est encore loin. Aucun plan d’urbanisme, aucune réflexion, le chacun pour soi généralisé. Tout le monde veut se sauver soi même, à la va-vite, sans le moindre sens de l’avenir. Le fond du problème c’est le manque absolu d’initiative individuelle, qui n’a jamais été valorisée dans ce pays. Pendant quarante ans, le peuple s’est  laissé séduire par un discours caricatural, d’obédience marxiste. Jamais les pouvoirs publics n’ont vanté les mérites de l’entreprenariat ni même montré un quelconque exemple de gestion prévoyante.

 

Ce qui prévaut pour l’individu c’est la loi de la famille ou du clan, pas la notion de peuple malgache, de bien commun.

« Samy mandeha, samy mitady » / chacun pour soi, Dieu pour tous

Le peuple ne peut s’appuyer sur l’état, corrompu jusqu'à l’os. Alors encore moins suivre son exemple en matiere de collectivité et d’esprit d’initiative. De toute facon, comme nous le voyons avec l’exemple de Rivo, rien n’est fait dans le système bancaire pour encourager entrepreneuriat. Les conditions de prêt sont beaucoup trop exigeantes pour permettre à un plus grand nombre de personnes de s’élever socialement. L’argent ne pouvant pas toujours être le fruit du travail (le smic est à 30 €/mois), il reste le vol, la corruption. Or, devant l’absence d’une justice digne de ce nom, le peuple doit lui-même faire sa loi. Lorsqu’en 2017 des malfrats attaquent à mains armés des touristes dans une célèbre forêt malgache, menaçant ainsi la fragile vie économique des alentours, ce sont les villageois qui les retrouvent… et les lynchent à mort. Lorsque des cambrioleurs volent un campus, les étudiants font de même… Comme le dit un proverbe malgache :

 « Qui s'expose et court à sa perte défie le malheur ».

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