New York a ses Hamptons, l’Italie ses Cinqueterre, Istanbul a les Iles aux Princes. Décor suranné, délicieusement paisible, presque campagnard, à apprécier pendant les beaux jours.
Sur 9 îles, 4 seulement sont accessibles, en 1h de bateau depuis l’Istanbul européenne ou asiatique : Büyükada, Heybeliada, Burgazada et Kınalıada, visibles depuis la ville par temps clair.
Archipel des riches et des disgraciés, les Îles aux Princes ont accueilli depuis l’ère de Byzance toutes sortes de bourgeoisies, venues de gré ou de force. D’abord « Iles des Prêtres » (Panadanisia) à cause du nombre important de couvents sur place, à la fois isolées et non loin de la capitale, leur situation géographique est idéale pour exiler les princes encombrants. Torturés, ils ne revenaient jamais.
Du temps de Byzance, un infirme ne pouvait être empereur. Ce pourquoi au 8ème siècle, l’impératrice Irène (ou Irène l'Athénienne), réputée pour sa cruauté, fit crever les yeux de son fils Constantin VI pour régner à sa place et éviter une guerre civile dans l'Empire. Difficile de profiter de la vue dans ce cas… L’empereur déchu Romain IV Diogène fut lui aussi aveuglé, non pas par la beauté de l’île de Kınalı, mais par un autre empereur, et laissé pour mort là-bas. Ambiance.
Après la chute de Constantinople, les ottomans prirent exemple sur leurs prédécesseurs et abandonnèrent des hauts dignitaires ottomans sur une de ces îles. Sans leur crever les yeux, c’est déjà mieux !
Au milieu du 19ème siècle des lignes de ferry remplacent les veilles caïques et changent la donne. L’élite stambouliote, charmée par le calme et la végétation des îles, y passe ses week end et y fait construire ses résidences d’été. Ce sont ces vieilles demeures bourgeoises que l’ont peut apercevoir sur la plus grande des îles.
Pourquoi y aller. Vous allez venir chercher sur ces îles la même chose que les intellectuels et bourgeois stambouliotes : une escapade bucolique et depaysante loin de la tumultueuse Istanbul, entre villas victoriennes, synagogues, églises et mosquées. Ambiance tantôt grecque, tantôt arménienne, mais toujours cosmopolite. Sur 80.000 habitants, 30.000 personnes sont de confession juive, chrétienne et arménienne.
Büyukada ou Prinkipo,
entre communistes et trésor sans pirate
La plus grande et la plus peuplée de l’archipel, surtout en été (jusqu’à 40 000 résidents !), est assurément la plus touristique.
En 1840 elle devient le lieu de villégiature préféré des riches marchands, et des grecs de Constantinople.
En 1920, 30 000 à 40 000 russes blancs, ces partisans du tsar chassés par la révolution bolchévique, se réfugièrent à Istanbul. Or Trotski, banni d’URSS en 1929 par Staline, est invité par le président Atatürk à Büyükada. Il y résidera pendant 4 ans, dans une ambiance de paranoïa que l’on peut aisément comprendre. Pour éviter tout fuite d’information et déjouer les potentielles tentatives de meurtre, il exigeait que ses cuisinières soient sourdes, et ses femmes de ménage illettrées.
Sa maison, située rue de Cankaya dans le quartier de Nizam, est encore visible. Bon honnêtement, c’est une ruine. Mise en vente, elle ne trouve pas preneur.
A voir également, l’église Aya Nikola, en bien meilleur état, et le monastère grec Orthodox Aya Yorgi, surtout pour sa vue sur Istanbul et l’archipel.
Pour la petite histoire, un trésor composé de 207 pièces de monnaies à été découvert sur l’île en 1930. Il appartenait au père d'Alexandre le Grand et fait maintenant partie des collections du Musée Archéologique d’Istanbul.
Heybeliada, la bulle verte
La deuxième plus grande île et la plus verte. Pause nature. Jadis, le territoire des Arméniens et des riches grecs. Mais ces derniers ont fui des émeutes après 1956.
Burgaz ou Antigoni
La troisième, ancien village de pécheurs grecs. Très calme.
Kınalı ou Proti
la première sur la route mais la plus petite. Peu d’intérêt au regard des autres.
On y fait quoi?
En tout cas pas de voiture ! Le seul transport autorisé est le cheval et la charrette, le vélo, ou vos pieds. Admirer les vieilles baraques, pique niquer, manger une glace, prendre le bateau « vapur » entre chaque île. Personnellement, j’adorerais photographier le charme vieillot des îles avec mon argentique.
Sur le ferry retour, si vous êtes assez malin pour trouver une place sur le pont, ne loupez pas la “pointe du palais” pour la vue sur le palais de Topkapi, sur Sainte-Sophie et la mosquée Bleue.
Vous pourrez rentrer tard et profiter du coucher de soleil puisque les ferrys naviguent de 7 h et à 23 h 30.
Le meilleur moment pour y aller. Au printemps (fin mai à début juillet) et en semaine, pour éviter à la fois la foule (de touristes et de stambouliotes) et la chaleur.
Budget. Le ferry depuis Istanbul : 1€. Une fois sur place, 21 € (100 TL) pour le grand tour de calèche. Ce n’est clairement pas donné pour le coin, mais à diviser par le nombre de personnes. Le vélo c’est 3.20€ (15TL) la journée. Une bonne option quand on voit le degré d’épuisement des chevaux en été…