Peu de villes furent par le passé considérées comme le centre du monde religieux et politique. Istanbul, dont l’ancien nom est encore aujourd’hui synonyme de richesse, d'opulence et de complots, fait partie de celles qui marquèrent les grandes pages de l’Histoire. Pendant longtemps elle fut LA ville, aux yeux du reste du monde.
Visiter l’ancienne Byzance, c’est partir sur les traces de l’Empire Chrétien d’Orient et de son atmosphère aussi énigmatique que grandiose.
Sainte Sophie, une expérience mystique
Rive européenne, quartier Sultanahmet
La « sagesse divine » fut bâtie 1 an avant la naissance de l’Islam par l’empereur Justinien, qui souhaitait signifier au monde la naissance du grand
empire chrétien d'Orient en bâtissant un monument que le monde depuis Adam (celui de Eve) n’aurait jamais vu et n’en verrait plus. Elle fut le plus grand lieu de prière au monde pendant près de 10 siècles.
Basilique sous les romains puis mosquée lorsque Mehmet II s’empare de la ville, Ataturk la transforma en musée, aujourd’hui régulièrement restauré.
Les milieux islamo-conservateurs veulent la re-reconvertir en mosquée, mais ça, c’est une autre histoire.
Le verset calligraphié au sommet du dôme, sensé la protéger, signifie « Dieu est la lumière des cieux et de la terre ».
Le Dôme représentait la Porte des Cieux pour les byzantins, mais également pour les musulmans.
Mais s’il faut chercher un miracle dans ce bâtiment qui a traversé les siècles, les religions et les tremblements de terre, c’est ailleurs qu’il faut le chercher...
La construction de la basilique coûta plus qu’un bras... Les marbres sont venus des quatre coins de l’empire, le top du top de l’époque, pour un chef d’œuvre né de la mégalomanie d’un empereur, de génie architectural, de la richesse d’un empire, puis plus tard de la fierté et l’orgueil des ottomans.
La nouvelle église-centre du Monde de Justinien s’érige sur l’ancienne basilique voulue par Constantin, en seulement 5 ans (de 532 à 537), alors que la plus rapide construction de nos cathédrales est de 80 ans !
L’empereur Justinien, représenté dans la Basilique de San Vitale, à Ravenne (Italie). Ravenne fut la capitale de l’Empire romain d’Occident, et aujourd’hui capitale mondiale de la mosaïque.
L’empereur choisit non pas des architectes, mais un physicien, Isidore de Milet, et un mathématicien, Anthémius de Tralles, qui font preuve d’audaces architecturales pour faire tenir un bâtiment aux volumes majestueux et aux dimensions hors norme : le dôme culmine à 56 mètres de haut, les colonnes font jusqu'à 20 mètres. Sainte Sophie est érigée pour restituer la grandeur de la religion, pour impressionner, pour transcender. Elle accueille des cérémonies impériales grandioses. Constantinople est alors le rempart de la chrétienté contre la montée de l’islam.
Plus tard, la "vitrine" de l’Empire byzantin se pare de mosaïques figuratives dont près de 300 000 m2 de mosaïques d’or, réfléchissant la lumière : celle de Dieu, et donc celle de Justinien, son représentant sur Terre...
Parmi celles-ci, la Déisis, considérée comme le chef d’œuvre absolu de la mosaïque byzantine.
Mais 20 ans après sa construction, le dôme s’effondre sous le coup d’un tremblement de terre. Le neveu d’Isidore le physicien s’attache à le reconstruire et à renforcer le bâtiment. Là réside le secret de sa longévité, car de cette reconstruction résultera le dôme que nous connaissons aujourd’hui. Sainte Sophie doit sa résistance à son mortier fait de chaux, d’eau, et de poudre de briques particulièrement flexible (qualités importantes contre les tremblements de terre) car constitué de cendres volcaniques. Les restaurations actuelles s’attachent à reproduire les qualités exceptionnelles de ce mortier.
L’effondrement du dôme correspond également à celui de Justinien, beaucoup contesté dans cet empire chrétien où font rage luttes intestines et querelles « byzantines », d’où l’expression.
Lorsqu’il s’empare de la ville, Mehmet, fasciné par ce bâtiment et impressionné par sa structure, le fait consacré à l’Islam et y rajoute un minbar, un mihrab puis un premier minaret. Les autres, ainsi que les calligraphies, seront rajoutés plus tard.
Les 7 médaillons font chacun 7.5 m de diamètre, mais il est difficile de s’en rendre compte tant les volumes du bâtiment sont imposants.
Les ottomans chercheront à s’approprier ce modèle : tout d’abord avec la mosquée de Mehmet (Fatih) – qui fut construite sur le même plan –, puis avec la mosquée Suleimaniye érigée par le génial Sinan, qui apporta ainsi la réponse ottomane au génie architectural byzantin.
Sinan, un génie méconnu et pourtant comparable à la stature de Michel Ange, renforce sainte Sophie en lui rajoutant des contreforts.
Ainsi, Sainte Sophie telle que nous la contemplons aujourd’hui est la somme des arts byzantins et ottomans. Récupérée, consacrée, désacralisée, reconstruite, renforcée, mais toujours respectée, par des hommes d’art et de génie.
Son caractère unique tient au mélange de mosaïques – chefs d’œuvre de l’art byzantin – et de calligraphies musulmanes, dans un volume digne d’une cathédrale, surmonté par un dôme aux dimensions hors norme (il fut du bâtiment le plus vaste espace couvert du monde jusqu'à ce que la cathédrale de Séville soit construite) par où la lumière inonde l’intérieur. Elle symbolise toute la richesse multiculturelle de l'Histoire de la Turquie.
Des secrets encore enfouis
En 1847, la basilique est en piteuse état. Le sultan Abdül-Medjid confie sa restauration à un suisse, Gaspare Fossati, qui y découvre des mosaïques sous le plâtre, heureusement intactes. Celles ci furent camouflées par des musulmans plus conservateurs. Il les dessine et les fait recouvrir à nouveau pour éviter leur pillage.
Il faudra attendre l’arrivée au pouvoir d’Atatürk, chantre de la laïcité, pour que les chefs d’œuvre byzantins soit révélés au public. Il fait désacraliser Sainte Sophie qui devient un musée.
Mais toutes les mosaïques dessinées n’ont pas encore été retrouvées car les scientifiques ne connaissent pas leurs emplacements. Ils utilisent un scanner électromagnétique pour essayer de les détecter mais sans savoir où chercher, ils tâtonnent… Il est fort probable que l’une d’elles, un christ Pantocrator, se cache au sommet de dôme, recouvert d’une calligraphie. Il faudrait alors la détruire pour le mettre à jour…Une œuvre d’art sous une œuvre d’art.
Dessins de la basilique par Gaspare Fossati :
Des ouvriers travaillent à sa restauration, ce qui peut s’avérer risqué: dévoiler les mosaïques chrétiennes « idolâtres » recouvertes par les musulmans risque de les endommager.
Evidemment Sainte Sophie est également magnifique de l’extérieur. Surtout à la tombée de la nuit lorsque les couleurs changeantes des eaux de la fontaine jouent avec ses éclairages. Puis la complète obscurité permet aux lumières de souligner ses courbes et ses ouvertures, qui répondent à celles de la Mosquée bleue. Les deux sultanes se font face…
Le meilleur moment pour y aller. Le matin dès l’ouverture si vous ne souhaitez pas attendre des heures pour y entrer, entre 13 et 14h pendant le déjeuner (moins de groupes), ou 2h avant la fermeture.
Budget. Inclus dans la carte Museum Pass. Ou 8.50€ (40 TL)
En ce matin de janvier, il n’y a presque personne devant Sainte Sophie.
#Ayasofya#HagíaSophía
Et pendant ce temps là, Gli se balade dans Sainte Sophie...
Si Sainte Sophie est un musée, elle a tout de même un locataire... Gli a élu domicile il y a 14 ans dans la mosquée basilique et s’y promène, profitant des caresses des touristes de tous horizons. Le jeu, c’est de le trouver !
Bien portant, fourrure tigrée, yeux verts, le regard légèrement strabique qui lui donne un air vaguement oriental.
Il a même sa page Facebook et son Instagram !
La citerne basilique, dans les entrailles de Byzance
Rive européenne, quartier Sultanahmet
Encore un lieu étonnant.
Il existe malheureusement peu de traces du passé byzantin de la ville. Les palais ont été détruits par le temps et les hommes. A part les mosaïques de Sainte Sophie, il reste malgré tout aujourd’hui deux témoins de l’ère byzantine : l’Eglise Saint Sauveur in Chora, et une citerne enfouie sous terre, alias Yerebatan Sarnıcı, miraculeusement intacte. Datant de l’an 542, l’empereur Justinien l’a fortement améliorée pour alimenter en eau le palais impérial (aujourd’hui disparu) en été, et servir de réserve en cas de siège. La citerne – qui n’est pas la seule de la ville, mais en revanche la plus impressionnante – fut découverte par hasard par les ottomans, qui l’utilisèrent alors pour alimenter en eau le palais du sultan Topkapi.
Si on la visite aujourd’hui grâce à des plateformes, il faut imaginer cet immense espace rempli par 78 000 m3 d’eau.
Durant la 1ère guerre mondiale on la visitait en barque, à l’image de James Bond dans Bons baisers de Russie. Classy.
Pourquoi citerne basilique ?
Parce que cette immense réserve était située sous la cour d’une basilique. De plus, il faut bien reconnaître que son architecture soutenue par 336 colonnes lui en donne l’allure.
La visite, courte, se termine par deux têtes sculptées, l’une à l’envers et l’autre renversée, d’un personnage mythologique : Medusa.
Provenant d’un site romain, ses têtes servaient probablement à éloigner les esprits maléfiques. Elles ne furent découvertes qu’en 1980.
Medusa par Caravaggio. Sa chevelure est entrelacée de serpents et ses yeux ont le pouvoir de pétrifier tout mortel qui les regarde. Sa représentation sera longtemps utilisée comme une protection contre le mauvais œil.
Il n'est pas surprenant que ce décor et son aura de mystère ai inspiré le cinema (Bons baisers de Russie, Skyfall, La promesse d’une vie), la littérature (Inferno de Dan Brown) mais aussi l’univers du jeu video (Assassins Creed : Révélations).
Lors de mes études de Tourisme, une de mes professeures m’avait parlé de cet endroit si particulier. Sa description m’avait fortement intriguée. Effectivement, malgré tous mes voyages, je n’avais encore jamais eu la chance d’explorer un lieu tel que celui-ci. Impossible de ne pas repenser aux péplums, à l’empire romain ou à la mythologie grecque dans cette alcôve mystérieuse, éclairée savamment par des lumières placées aux pieds des colonnes.
Il existe également une citerne byzantine sous le palais Topkapi, mais malheureusement fermée au public.
Le meilleur moment pour y aller. Visitez la juste après Sainte-Sophie, car elle située juste à côté. Lieu hautement touristique, il y aura du monde même en basse saison.
Budget. 4.30€ (20TL). A l’intérieur un stand de costumes vous propose des prises de photos en tenues ottomanes. C’est kitsch, payant, mais amusant, surtout pour les familles pour qui papa peut poser en sultan de la famille.
Heads will roll!
#YerebatanSarnıcı
L' église Saint-Sauveur-in-Chora, les vestiges de Byzance
RIVE EUROPEENNE, QUARTIER D'EDIRNEKAPI
A l’évocation de Byzance, la première image qui me vient à l’esprit est une profusion de richesses. Puis vient le visage du christ Pantocrator, et avec lui les mosaïques cernées d’or caractéristiques des églises byzantines.
Après Sainte Sophie, l’église Saint-Sauveur-in-Chora est le plus important monument byzantin d'Istanbul. Si l’immensité de la première impressionne, la taille humaine de la seconde permet plus d’intimité, de proximité avec ses chefs d’œuvre : les plus belles mosaïques de la ville, ni plus ni moins.
Chora signifie « hors de la ville, à la campagne » en ancien grec. L’église elle était alors située hors des murs de la ville, bien moins étendue qu’elle ne l’est aujourd’hui. Construite au 5ème siècle, ce qui en reste aujourd’hui ne date que du 11ème siècle, et encore, grâce aux ottomans (16ème siècle), qui ont conservé les mosaïques en les recouvrant de chaux (étant interdit de représenter l’homme dans l’Islam) alors qu’ils auraient pu les détruire purement et simplement. En effet, d’autres églises resteront ce qu’elles sont (à l’usage des chrétiens habitant encore Constantinople après la chute de celle-ci), mais Saint-Sauveur-in-Chora sera transformée en mosquée. Les anges sculptés dans la pierre auront moins de chance, leur visage sera martelé au ciseau.
Ce fut donc une sacré surprise en 1948, lorsque l’église fut transformée en musée, de les découvrir, sous le plâtre, quasiment intactes.
La scène de l’Anastasis (la Résurrection) représente Jesus, le diable à ses pieds, donnant la main à Adam et Eve pour les sortir de leurs tombeaux.
Christ Pantocrator et « querelle des images »
Si on a plus l’habitude de voir le Christ souffrant sur la croix ou en petit bonhomme sage dans la crèche, l’art byzantin, orthodoxe, se le représente plus en super héros... Le christ pantocrator , du grec pan, «tout» et kratos «puissance», est donc tout puissant, adulte, barbu, et a les cheveux longs. Il est nimbé d’une lumière qui entoure sa tête et il tient le livre des Saintes Écritures.
Du temps de Byzance, les icônes sont vénérées aussi bien dans les églises que chez soi. Elles sont de véritables porte-bonheur auxquels la population attribue des pouvoirs miraculeux : on prétend qu’elles n’auraient pas été peintes de main d’homme. Cela va trop loin pour les empereurs byzantins et beaucoup furent alors détruites lors « des crises iconoclastes » aux 8 et 9ème siècles : face aux invasions, épidémies et autres catastrophes que l’on sait aujourd’hui « naturelles », les chrétiens « iconoclastes » de l'Empire s'interrogent sur les raisons de la colère divine et sur le bien fondé du culte des images. Pour eux, il est impossible d'enfermer le divin dans un dessin, ils s'opposent donc à cette idolâtrie et font détruire les images saintes, après maintes querelles byzantines (de là vient l’expression) et débats théologiques.
Constantinople tombée aux mains des ottomans musulmans, les artistes grecs orthodoxes fuient en Italie, où ils popularisent le Christ Pantocrator, qui sera par la suite connu en Occident sous le nom de Salvator Mundi, alias le « Sauveur du monde ».
Le Salvator Mundi de Léonard de Vinci sera la peinture la plus chère du monde : acquise pour 382 millions d’euros (!!!) en 2017 par un prince héritier arabe.
Mis à part à Sainte Sophie et à Saint Sauveur in Chora, il est possible d'observer le Christ Pantocrator en Sicile (à Cefalu, Monreale et Palerme), en Russie, en Grèce, à Jérusalem, mais la plus ancienne représentation est celle du monastère Sainte-Catherine du Sinaï en Égypte, d’ailleurs produite à Constantinople. Mais étant donné les conditions de sécurité actuelles au Sinaï, il est impossible d’aller le visiter.
Le meilleur moment pour y aller. A l’heure du déjeuner ou en fin d’après midi (vers 15h/15h30 en été, l’accès étant fermé à 1h). L’église est ouverte tous les jours sauf le mercredi, de 9h à 19h en été et jusqu’à 17h du 1er octobre au 15 avril.
Accès. Tramway arrêt Aksaray où métro arrêt Ulubalti puis taxi.
Budget. Inclus dans l’Istanbul Museum Pass, sinon entrée à 6.30 € (30 LR)