Sandra Laing :
quand la nature se joue des lois humaines

Née noire dans une famille de blancs durant l'apartheid, la vie de Sandra s'est inscrit dans un tiraillement constant entre loyauté familiale, sentiment d'appartenance à sa communauté et choix de vie. Sa naissance est un véritable pied de nez au racisme de la soi disant suprématie blanche sud-africaine, qui la fera changer par 3 fois de "couleur"....

 

Un matin de novembre 1955, Abraham et Sannie Laing, un couple d’afrikaners accueille leur nouveau bébé, Sarah. Seul hic, le bébé est ... métis.

" J'ai tout de suite remarquée que Sandra avait la peau plus sombre que la nôtre, mais cela n'a rien gâché à la joie que j'éprouvais. Et si jamais la couleur de notre fille a choqué mon mari, il n'en a rien montré. Aucune infirmière n’a manifesté la moindre réaction non plus. »

Ce qui pourrait passer pour le scénario d’une comédie, se révélera un drame, dans un pays où la race est sectorisée, et définit tout de la vie d’un individu. 

Comment la petite Sarah peut-elle être noire alors que ses parents et grands-parents sont tous blancs ?! Cela est dû au réveil de gènes " dormants " d’un ancêtre noir africain de la famille, ceux responsables de la mélanine donc de la coloration de la peau. Chose inconcevable pour l’époque, surtout dans une famille qui compte parmi ses membres, les frères de Sarah, des militants extrémistes de l’Apartheid.
Pourtant, 8% des gênes des Afrikaners se révèlent non Blancs. Sandra est donc loin d’être un cas unique.  Les autres parents Blancs choisissent parfois de laisser leur enfant Coloured en famille d’accueil noire ou en orphelinat. Des jumeaux furent même classifiés différemment : l’un indigène (Native), l’autre Coloured. En revanche Sandra est la seule à avoir changé par 3 fois de couleur ...

Les Laing se mettent à éplucher leurs arbres généalogiques respectifs, jusqu’aux arrière-arrière-grands parents, pour essayer de trouver un mariage mixte. Aucune trace.

Si sa famille l’accepte sans problème et l’élève « comme une blanche » (Sannie teste même un produit défrisant sur les cheveux crépus de sa fille : une catastrophe. Sandra perd ses cheveux en haut du crâne), ce n’est pas le cas de l’école.
Les enfants subtilisaient ses manuels scolaires, ses chaussures pour les mettre sous la douche, et l’accusaient ensuite d’avoir fait pipi dessus. Dans le douches : « Regardez ! Elle est toute sale ! Sandra tu devrais apprendre à te frotter mieux que ca !». Ils l’appellent « Blackie », Sandra leur tape dessus, mais bien sûr cela lui retombe toujours dessus. Personne n’est là pour prendre sa défense, surtout pas le directeur du pensionnat, qui va jusqu’à blâmer ses amies de jouer avec elle. Devant cette impunité, les brimades recommencent de plus belle. Elle pleure sur son matelas jusqu'à ce qu’il soit détrempé.

 J’étais malheureuse. Je perdais pied dans toutes les matières. J’étais loin derrière les autres. Je n’arrivais pas à apprendre. Je n’arrivais pas à me concentrer. J’étais trop triste

Quant aux habitants du village, ils sont persuadés que Sannie a fauté avec un Noir, et ne lui parlent plus. Elle est ostracisée dans sa propre communauté. Les premiers tests ADN arriveront en 1975, trop tard pour la disculper. Plus tard, avec la médiatisation de l’affaire, elle recevra même des lettres d’insultes régulièrement. Le frère de Sannie n’est pas en reste : on se moque de lui parce qu’il a une sœur métisse.
Le gouvernement la classifie Coloured, elle est chassée de son école, ramenée chez elle par des policiers. Sandra  pense quelle s’est faite renvoyer parce qu’elle avait frappé ses camarades. Personne ne lui explique. Elle sait être porteuse d’un mal sans comprendre lequel.
Son père se bat alors pour qu’elle soit re-classifiée blanche.
Car outre le fait de ne plus pouvoir fréquenter son école, Sandra n’a plus le droit d’aller au restaurant, de s’asseoir avec sa famille blanche dans le bus ou tout espace public, et même d’être enterrée dans le même cimetière. Pour rester avec sa famille elle serait obligée d’y être enregistrée en tant que domestique.

L’administration seule peut laver cette « tâche », cette « infamie » dans une famille où la suprématie blanche est érigée en doctrine.
Abraham se voit proposer un arrangement qui aurait changé le destin de Sandra : lui faire intégrer une école mixte de Pretoria, fréquentée par des enfants de diplomates étrangers, où l’enseignement dispensé est de très bon niveau. Tout frais payé. Mais pour cela il devait accepter qu’elle soit « Coloured ». Lorsque cette condition tombât Abraham ne changeât pourtant pas d’avis. Son entêtement passât avant le bien de sa fille, le même qui le fit laisser dépérir sa fille dans son 1er pensionnat, alors même qu’elle subissait brimades sur brimades.
Mais pourquoi ce refus si catégorique ? Dans une société ou être noir signifie l’impureté, admettre que sa fille n’était pas blanche équivalait pour lui à reconnaître une infidélité de sa femme qui relevait d’un péché mortel pour son église. Une marque d’infamie pour toute la famille, et une traîtrise à sa race.
Finalement, la seule école acceptant d’intégrer Sandra sera un couvent (avec piscine, terrains de sport et même court de tennis) de sœurs irlandaises à 900 km de chez elle. Elle y sera beaucoup mieux traitée. En parallèle, un test ADN atteste qu’Abraham est bien le père de la petite. Malgré ce qu’il a déclaré aux medias, il ne pouvait s’empêcher de douter de sa femme, et de nombreuses crises domestiques éclataient. Sandra savait en être la cause, sans comprendre pourquoi.

 Les punitions ne correspondaient à  aucun crime, les questions posées provoquaient des résultats inattendus, ses proches venaient contredire son interprétation des faits. Si son expérience personnelle avait davantage puisé dans la rationalité et la prévisibilité de l’arithmétique, peut être aurait elle opéré un choix différent. 

Le combat d’Abraham, test sanguin à l’appui, permet à sa fille de « redevenir » blanche au bout de 2 ans. On nage en plein aberration... Mais rejetée ans justification, ballottée entre deux cultures, Sarah va finir par choisir son camp. Les ennuis ne font que commencer.

Je crois que c’était plus facile pour moi de parler avec des Noirs qu’avec des Blancs. Ca me confirmaient peut être que c’était à ce groupe là que j’appartenais. Et puis je n'aimais pas les jeunes blancs, je n'y arrivais.

Pendant les vacances l’adolescente rentre chez elle. Elle y noue des liens avec un petit vendeur de rue apprécié de tout le monde, même de son père, Petrus Zwane. Il est noir, marié, mais ca ne l’empêche pas de tomber amoureuse de lui. Abraham découvre leur liaison par Lisa, la femme de Petrus.
La froideur de son père et son amour pour Petrus la pousse à prendre une décision qui changera le cours de sa vie : fuir avec lui au Swaziland, petit état enclavé où l’Apartheid n’a pas cours.


Mon père était furieux parce que j’ai épousé un Noir. Il menaça de me tuer puis de se donner la mort si je remettais les pieds dans sa maison. 

Sandra n’a pas de papier d’identité. Dénoncée par Lisa, elle est arrêtée au Swaziland et passera 2 mois en prison en Afrique du Sud. Elle a 15 ans. Enceinte de Petrus, elle demande sa classification en coloured mais sans l’accord de son père elle ne peut l’avoir, jusqu'à ses 21 ans.
Elle continue à vivre sa vie avec Petrus et sa famille. Pauvre mais bienheureuse. Sa belle mère se révèle être une vraie mère pour elle.
Mais les choses tournent mal : le couple perd sa petite fille, Jenny, de maladie. Petrus se met à devenir excessivement jaloux et violent, jusqu’à la frapper à coup de fouet. Elle doit partir pour ne pas mourir sous ses coups. Jeune maman ne pouvant bénéficier du soutien de ses parents (ils ont déménagé et elle ne les retrouve pas), elle vivote en faisant des ménages et demande à redevenir Coloured pour qu’ils ne lui soient pas retirés.
Un autre revers l’attend : à 25 ans, malade, elle se rend à l’hôpital qui lui déclare un cancer, par erreur. Le temps qu’ils s’en aperçoivent, elle dut prendre la décision de laisser ses enfants aux services sociaux, sans personne pour s’en occuper durant sa future convalescence présumée.
Une décision qui lui déchire le cœur.

Elle mettra 9 ans pour récupérer ses enfants, devant pour cela avoir un logement décent. Puis décide  de partir à la recherche de ses parents : elle découvre alors que son père est décédé, et réussit à joindre sa mère par téléphone.
Il lui faudra des années pour la revoir, son frère Léon faisant blocage. Leur mère ayant subi plusieurs attaques cardiaques, il craint le choc que cela pourrait engendrer, et de plus, il estime que seul l’appât du gain, via les medias, motive Sandra. Qu’elle tire parti de l’humiliation faite à ses proches. Elle, pense que la seule façon d’acquérir la certitude qu’il tient à elle, est de savoir s’il est prêt à lui donner de l’argent….

Il fallait que je sache si je comptais vraiment pour lui. S’il me donnait des sous, ça voulait dire qu’il m’aimait.

Ainsi, leur conflit ne se résoudra jamais. Léon la paye pour qu’elle reste silencieuse devant les medias.Ses deux frères estiment qu’elle a trahi leur famille en s’enfuyant avec un Noir, qu’elle a « fait son choix ». Elle, se sentant malaimée par son père et plus à l’aise avec la population noire, s’est enfuit d’un environnement qui ne lui avait apporté que douleurs et mépris.
Ce sera finalement grâce à un ancien policier quelle retrouvera l’adresse de sa mère et la reverra, mais celle-ci souffre d’Alzheimer.

1990. Le président De Klerk annonce la prochaine libération de Mandela. Sandra ne sait pas qui c’est.

 Je ne le connaissais pas parce que je ne regardais pas la télé, je ne lisais pas les journaux, je n’écoutais pas les informations.
J’aurais aimé que Nelson Mandela soit notre président quand je suis née. Peut-être que je n’aurais pas quitté la maison, j’aurais achevé mes études, et j’aurais vu mes frères tout le temps. 

Tout de même, cela parait aberrant. « (…) ostracisme, persécutions scolaires, punitions injustes, sentiment d’abandon, menaces proférées par un parent, incarcération, relocalisation forcée, maltraitance conjugale ont entrainé chez elle du repli sur soi et apathisme, pas de prise d’initiative, passivité ».

Tant d’épreuves qui ont poussé Sandra à se couper du monde extérieur, à ne pas accorder de valeur à son jugement personnel. Et puis, incarnant malgré elle l’absurdité et la cruauté d’un système inique, elle déteste la politique.
Sorti en 2008, le film Skin retrace sa vie sur la base de son livre When she was white.

Le documentaire Sandra Laing: A Spiritual Journey revient également sur sa vie, avec une émotion que seuls les véritables protagonistes et lieux peuvent conférer.