Tout comme Athènes et Rome, l’ancienne Constantinople est une capitale antique. Ses splendeurs sont le reflet d’un passé fait de conquêtes, de richesses et de luttes. Ses bâtisseurs et dirigeants ont voulu une ville qui impressionne, inspire, transcende.
A cheval entre deux continents, le siège des empires byzantins et ottomans a de tout temps été le théâtre d’intrigues et de stratégies. Une saga passionnante et complexe, mais importante à connaître pour mieux appréhender l’histoire de la ville, comprendre ses enjeux passés et futurs, et saisir d'où vient sa beauté.
Une ville, trois noms, deux empires
Byzance deviendra Constantinople puis Istanbul.
7ème siècle avant JC, des colons grecs menés par un certain Byzas, fondent la ville et lui donne son premier nom. Elle perdurera durant 11 siècles.
L’aigle bicéphale, emblème de Byzance.
4ème siècle après JC
Les romains, menacés de toute part, ont besoin d’une nouvelle Rome pour défendre l’empire d’Orient. Ce sera Byzance, idéalement placée pour la défense des frontières de l’empire et au point de rencontre de deux mers. Renommée en 330 par l’empereur romain Constantin, la ville représentera le centre du monde sous Justinien, à son apogée. Rome finit par tomber aux mains des barbares, mais Constantinople, elle, résiste et les empereurs dirigent depuis la ville.
A noter que le terme « byzantin », purement occidental, est apparu la première fois en 1794. Les byzantins, eux, se considéraient et nommaient « romains ».
1204
Les chevaliers croisés se détournent de leur premier but : s'emparer des ports égyptiens, en vue de les échanger contre Jérusalem, reconquise par le sultan Saladin quelques années plus tôt. Au lieu de cela, ils s'emparent de la richissime capitale de l'Empire byzantin le 12 avril et la mette à sac. 2.000 grecs sont massacrés. Le scandale est immense dans toute la chrétienté et de ce jour fatal date la véritable rupture entre la chrétienté orthodoxe d'Orient et la chrétienté catholique d'Occident...
1453
Quand une dynastie rencontre une ville.
Les restes de l’empire byzantin se résument à la seule ville de Constantinople lorsque les ottomans décident de s’en emparer. Elle n'est alors plus peuplée "que" par 50 000 habitants, et entre la guerre de 100 ans, la Reconquista et les questions intérieures orthodoxes, personne n'est "disponible" pour la sauver. Au terme de plusieurs épisodes à rebondissements dignes d'un blockbuster hollywoodien, Mehmet III et ses 100 000 soldats bachi-bouzouks, janissaires et sipahis prennent le contrôle de la ville, et fonce à Sainte Sophie pour en faire une mosquée. 4000 morts. Et l'Histoire qui bascule pour des siècles à venir. Les ottomans peuvent désormais relier la partie occidentale et orientale de leur empire. Les communautés de la ville seront gouvernées selon leur religion, et non pas selon leur ethnie.
Les européens l’appellent Constantinople, les ottomans Constantiniya ou Istanbul, – du grec eis tên polin (vers la ville) et/ou de l'arabe Islam bol (soit rempli d'Islam), mais elle ne prendra officiellement ce nom qu’en 1930.
Si beaucoup de savants et artistes byzantins se réfugient en Italie, influençant grandement La Renaissance (la fin du Moyen âge sera datée 39 ans après ce siège, en 1492), ce basculement de la ville permet aussi la rencontre de savants orientaux et occidentaux.
Un dessin du siège de Constantinople. A gauche, la Corne d'Or, et au fond, le détroit du Bosphore et la mer de Marmara.
D’où viennent les ottomans ?
Leurs aïeuls sont des cavaliers et bergers Seldjoukides (du nom du fondateur de leur état, Seldjouk) venus d’Asie centrale, organisés en clans, et surtout nomades, dont le quotidien est rythmé par les transhumances. Qui pourraient croire qu’ils défieraient des siècles plus tard l’empire byzantin, même si celui-ci se réduit à une peau de chagrin au regard de sa domination passée. Mais ces bergers sont en fait des guerriers conquérants dans l’âme, muent à la fois par l’appât du gain et la lutte contre les « infidèles ». Ca tombe bien, l’ennemi chrétien est riche…Les seldjoukides mettront 3 siècles à bâtir leur empire.
Comme souvent dans l’Histoire, il ne manque plus qu’un homme pour que toutes les conditions soient réunies et que les cartes du destin se mettent en place. Ce sera Osman, un grand guerrier venu du nord de la Perse au 14ème siècle, dont la force fédère les différentes tribus. Ses partisans seront appelés les « ottomans », terme né d’une mauvaise prononciation occidentale d’« Osman ».
Début de la saga.
Osman en a marre de compter ses moutons dans le pré, lui ce qu’il veut, c’est élargir les frontières de l’empire. Pour cela il n’a pas d’autres choix que de partir vers l’ouest; l’est est gouverné par ses « frères » musulmans. En 1326, ayant grossi ses rangs de guerriers alléchés par l’appât du butin et par l’aventure, il s’empare de Bursa (Brousse) et y installe le siège de son gouvernement. Une véritable bureaucratie est instaurée, de nouvelles lois sont créées. Fini le camping, on s’installe pour de bon.
Les premiers chefs ottomans, conjuguant chance, intelligence et capacités militaires, sauront habilement utiliser les luttes intestines de l’empire byzantin (en conflit avec les catholiques) et fédérer les différentes tribus ottomanes, qui mèneront plus de cent ans plus tard Mehmet II à prendre la ville dont ils rêvent tous : Constantinople.
Fut un temps ou les sultans étaient présentés par les historiens soit en conquérants sanguinaires et sans pitié, soit sans caractère, corrompus et débauchés. Soliman étant la seule exception. Or les premiers sultans ne furent pas des barbares sans principe : les chrétiens de Constantinople ne furent pas massacrés et les autres religions étaient tolérées. Ils légifèrent, administrent, organisent.
Les janissaires : les mousquetaires du sultan
Au 14ème siècle, face au risque de rébellion des autres clans musulmans, le fils d’Osman, Orkhan, a l’idée, s’inspirant d'une vieille coutume byzantine, de former des guerriers d’élite en enrôlant des enfants chrétiens (de 7 à 20 ans) issus de leurs terres conquises : le Devchirme. Ses enfants arrachés à leur famille, reconvertis à l’Islam pour être éduqués à Constantinople, formeront le futur corps des janissaires, du turc yeniçeri, signifiant « nouvelle troupe ». Ils étaient promis à un avenir brillant et considérés comme les fils adoptifs du sultan, dont certains formaient sa garde privée. Selon leurs aptitudes, ils devenaient soit administrateurs soit soldats, et pouvaient aspirer à de grandes positions.
Si cette sorte d’impôt sur les enfants étaient le plus souvent un déchirement, certaines familles portaient volontaire leur enfant pour lui offrir un avenir et une éducation de haut vol.
Excellents guerriers dévoués corps et âme à la cause du sultan, l’occident craint les janissaires. Ils participent à l’aura d’invincibilité des ottomans lors de leurs conquêtes. C’est pourtant un sultan qui éradiquera cet ordre en les faisant tous massacrés au 19ème siècle. Trop de pouvoir tue le pouvoir…Les janissaires, qui ne sont plus alors issus directement du devchirme (donc chrétiens d’origine) et beaucoup moins aguerris que leurs ancêtres, font tuer un sultan pour en remettre un autre sur le trône afin de défendre leurs intérêts (une histoire de sous bien sûr…), face aux nouvelles reformes demandées par le premier. Leur influence trop grande leur monte à la tête et les pousse aux tueries parmi la population. Mahmud II veut les exterminer : sur 140 000 soldats, 120.000 sont exécutés. Les survivants parviennent à s'échapper, tant bien que mal. Le corps est dissous.
La Prise de Constantinople ou l’acte de décès de l’empire byzantin
Au 15ème siècle, l’empire islamique comprend l’Anatolie et les Balkans. Constantinople, alors ruinée et dépeuplée par des querelles (« byzantines », d’où l’adjectif du même nom) de successions qui ont fragilisés l’empire Byzantin, est en plein milieu... L’importance économique, stratégique et surtout symbolique de ce dernier rempart contre l’orient musulman, en font un objet de convoitise incontournable, il doit tomber aux mains des ottomans.
Le film Constantinople (Fetih 1453), retrace la prise de la ville.
Les chrétiens de la ville ont jusqu'alors toujours vaincu les attaques, depuis près de 1000 ans, mais on voit mal comment la ville aurait pu résister : aucune aide extérieure ne leur ai octroyée, les royaumes ayant déjà leurs propres problèmes à régler. Surtout, les 8000 politains ne pèsent pas lourd face à la détermination des 100 000 guerriers ottomans, qui font déjà trembler l’Europe…Le génie militaire de Mehmed II s’empare de Constantinople, qui file droit sur son cheval blanc à Sainte Sophie, la seule église qui l’impressionne, sa conquête ultime. Il la consacre à l’Islam sans perdre de temps ; l’ancien centre du monde chrétien devient mosquée. On imagine les chants musulmans montant en haut du dôme, qui résonnaient quelques jours avant des incantations des âmes chrétiennes priant pour leur salut devant les assauts des « barbares » musulmans.
L’église gardera sa superbe, et la ville deviendra celle où « l’islam abonde » : le futur Istanbul. Mehmet II maintient la liberté de culte dans la cité multiculturelle et instaure les conditions d’une ville florissante, dans cette zone géographiquement faite pour les d’échanges commerciaux. Il ordonne la construction du palais de Topkapi, met en place des impôts et poursuit le Devchirme qui lui assurent revenus et protection. Il fait également du fratricide une règle et tue ses 19 frères pour éviter toutes querelles de succession. Par la suite, les frères du sultan seront systématiquement étranglés dès son avènement, même bébés...
Les souverains successifs – surtout Soliman – poursuivent les conquêtes et font de l’empire un patchwork de nationalités, multiethnique et multiconfessionnel.
Casques de guerriers ottomans, conservés au palais de Topkapi.
Soliman le Magnifique, l’âge d’or de l’empire ottoman
Si l’empire a connu de très nombreux sultans, un seul, dont le règne est synonyme de grandeur, est communément inclus parmi les grandes figures de l’histoire universelle.
Quand le seul fils survivant de Selim 1er (il n’eut donc pas à utiliser la loi du fratricide) arrive au pouvoir, il a 25 ans. Le monde connait alors deux empereurs : Soliman en Orient et Charles Quint* en Occident, ennemis qui ne se rencontreront jamais.
Pour que les vizirs le respectent et lui obéissent, le jeune sultan doit d’abord faire ses preuves sur le champ de bataille, et conquérir : ce sera Belgrade, 1 an après son accession au trône. Puis Rhodes l’année d’après, terre chrétienne perdue dans un environnement musulman. Il revient dans sa ville auréolé de gloire et a enfin les coudées franches. Le « législateur » dote la ville de lois administratives et d’une organisation bien huilée, qui lui permettront indirectement de venir à bout de son ennemi chrétien, ne bénéficiant pas des mêmes atouts. Il corrige des mesures impopulaires, gracie, rétablit la liberté de commerce. De plus, à l’image de son ancêtre Osman, il sait tirer parti des faiblesses politiques de son ennemi. L’empire, qui compte alors près de 22 millions d’âmes, contrôle les plus riches voies du commerce mondial. L’armée de Suleyman est invincible et les richesses inépuisables.
« Le magnifique », surnom que lui donnait l’occident, tant par ses tenues fastes, son charisme, que par sa noblesse de caractère, eut un règne particulièrement long : 46 ans, qui correspondent à l’âge d’or de l’empire ottoman.
Personnage emblématique de la ville, cultivé, intelligent, charismatique et passionné, on se plait à retracer sa vie quotidienne dans le palais de Topkapi. C’est sa signature monogrammée, la Tuğra, que l’on retrouve dans les musées, sur les murs de Sainte Sophie, et jusqu’aux porte-clés des boutiques de souvenirs. Son empreinte sur la ville est indélébile, les turcs étant fiers de ce personnage instruit, conquérant, vertueux, juste et clément, qui a su faire faire respecter son autorité. Adjectifs toutefois à nuancer: Suleyman est emblématique de l’extrême violence de son époque, pendant laquelle les prisonniers étaient brulés vivants ou égorgés. Pour préserver son règne, il fut exécuter ses 2 fils (et leurs enfants), qu’il soupçonnait de comploter contre lui.
La Tuğra, monogramme signifiant « Süleyman, sultan, fils du sultan Selim, toujours victorieux ». Heureusement que les chèques n’existaient pas à l’époque...
L’empire est immensément riche. Soliman, orfèvre de métier, est un grand mécène qui sait attirer à lui les meilleurs artisans, dont un homme à la stature comparable à Michel Ange : Sinan.
*C'est le soutien de Soliman à Francois 1er contre Charles Quint qui permet à la France de conserver ses frontières actuelles.
Sinan, l’architecte impérial
Si la notoriété de Soliman a traversé les siècles, le nom de son architecte est moins connu du grand public. Moi-même, je n’en avais jamais entendu parler avant de m’intéresser à l’histoire de la ville. Et pourtant, sans lui Istanbul n’aurait pas le même visage puisqu’il y a construit rien de moins que 42 mosquées. Istanbul inspire les européens par sa magnificence, sa grandiosité. C’est exactement ce que souhaitait le sultan. Et ce qu'a exaucé Sinan.
Grâce à la vision du sultan et au génie créateur de Sinan, des chefs d’œuvre émergent, dont la Suleymaniye (la mosquée de Soliman), considérée comme la plus belle mosquée de la ville, inspirée par Sainte Sophie comme toutes les mosquées construites depuis Mehmet V. L’architecte construit également des ponts, des bains, 321 édifices au total, mais son chef d’œuvre absolu est la mosquée Seliminye dans la ville d’Edirne, qu’il achèvera à 80 ans.
Sinan, d’origine arménienne, rentre dans sa jeunesse dans le corps des janissaires où il sera formé.
Le livre L’architecte du sultan d’Elif Shafak, traite de cette période de constructions majeures, et aborde la personnalité de cet homme perfectionniste et passionné. Il est vrai que Sinan possède cette dimension romanesque des personnages propres à leur époque. Je l'imagine quelque part entre le Père Fouras de Fort Boyard et Léonard De Vinci, puits de savoir, le nez toujours planté dans ses livres où sur ses chantiers, passionné par son métier jusqu'à la folie, humble, serial créateur et bosseur.
L'esthétique islamique a disparu depuis Mimar Sinan, architecte impérial de génie, d'origine arménienne, et auteur, au XVIème siècle, de quelques splendeurs ottomanes comme la mosquée de Soliman.
Zeynep Fadillioglu, designer de la mosquée Saqirin
Amours, complots et tragédies
La seule faiblesse de Soliman, personnage romanesque s’il en faut, fut sa femme Roxelane, esclave choisie dans son harem, qui, à force de perspicacité et d’opportunisme, a réussi à graver les échelons et à épouser le sultan, pratique alors proscrite pour une esclave selon les traditions ottomanes. Cela ressemblerait presque à la trame d'un roman Harlequin, si ce n’est toutes les tragédies traversées par Soliman, qui a du faire exécuter son meilleur ami d’enfance et Grand Vizir, Ibrahim Pacha, et ses fils, pour raison d’état.
Dans un système où chaque descendant pouvait accéder au trône, sans hiérarchie particulière, les intrigues et meurtres au palais étaient quotidiens. Selon les lois ottomanes, le nouveau sultan se devait de tuer ses frères et demi frères, pour le bien de l’état. Sympa les réunions de famille.
Le Sultan Mourad II fera éliminer ses 4 frères. Cela traumatisât son fils, le futur Ahmed 1er, qui ne voulut pas reproduire la même chose.
La montée sur le trône d’un nouveau sultan signifiait alors pour les favorites la mort de leur(s) fils, parfois en bas âge. Face à cette cruauté institutionnalisée, les femmes n’avaient pas d’autre choix que d’intriguer et d’user de leur pouvoir pour tenter de favoriser leur(s) enfant(s). Un climat de haine et de conspirations sanglantes, qui a commencé avec Roxelane.
Le harem,
royaume des intrigues et des luttes de pouvoir
Emprunté au terme arabe signifiant » interdit », le harem est le domaine privé du sultan. Il a accueilli jusqu'à 600 femmes, sélectionnées pour leurs aptitudes et beautés, qui y apprenaient à coudre, broder, chanter, jouer de la musique, dire des contes, danser. Selon la loi, le sultan peut avoir jusqu'à quatre femmes et plusieurs concubines. C’est sa mère, la « sultane valide » (prononcez "valideu"), qui décide en premier lieu de ses compagnes. Les femmes sont recluses, il leur est interdit de sortir du harem, et aucun homme ne peut y pénétrer, à part bien sûr le sultan et les eunuques (chrétiens, car la castration est interdite par l’Islam). Le chef (agha) de ces eunuques détenait la 3eme place au rang de l’état : sacrée promotion.
Loin d’être un lieu de dépravation, les femmes y étaient éduquées et pouvaient ensuite aspirer à un mariage en haut lieu, si elles décidaient de quitter le harem après quelques années. Celui-ci est régi par une hiérarchie stricte : en tête, la mère du sultan et son adjoint le chef des eunuques, puis la favorite (iqbal), les concubines (gözde), les mères des enfants du sultan, les concubines occasionnelles, et enfin les jeunes novices.
Le sultan partage sa vie entre conquêtes (aussi bien féminines que territoriales…), intrigues au palais, et conseils de ministres. Protégé par ses janissaires.
Le harem est le grand fantasme érotique de l'homme occidental, qu’il essaie de dépeindre en mots ou en peinture, souvent au travers des odalisques, jeunes esclaves au service des membres du harem.
Le Bain turc de Jean-Auguste-Dominique Ingres (musée du Louvre).
La Grande Odalisque de Jean-Auguste-Dominique Ingres (musée du Louvre).
Odalisque With Tambourin d’Henri Adrien Tanoux.
D’où vient le nom du quartier Sultanahmet ?
Le quartier historique abritant Sainte Sophie, la citerne basilique et la Mosquée Bleue doit son nom au sultan Ahmed 1er. S’il ne régna que 14 ans, le fils de Mehmed III et de Handan Sultane, a marché sur les pas de son illustre aïeul Soliman le Magnifique, en œuvrant pour les affaires d’Etat.
Marqué par la mort de son frère dans son enfance et les agissements de son père – qui usa allégrement du fratricide en faisant exécuter 19 de ses frères, 20 de ses sœurs, dix des épouses de son père –, il épargnera la vie de son demi-frère Mustafa et fit abolir du même coup cette loi cruelle. Ses enfants ne s’en privèrent pourtant pas…mais au 17ème siècle, les Şehzade (prononcez "chézadeu") c'est à dire les princes, ne seront plus étranglés mais relégués dans une partie secrète du palais appelée la « cage », dont ils ne sortiront que pour accéder au trône, ou mourir. Kit ou double.
Après le succès de la saga sur Soliman et sa femme adorée Hurrem (Roxelane), la télévision turque a décidé de diffuser une seconde saga, Muhteşem Yüzyıl Kösem (« Le Siècle magnifique de Kosem »), dédiée à la vie d’Ahmed et de Kosem, réputée être, avec Hurrem, l’une des plus puissantes sultanes que la dynastie ait connue. Acteurs charismatiques, costumes magnifiques, décors savamment reconstitués, bande son magistrale, la saga sur la vie de palais et ses intrigues se dévore, malgré les 2h30 de chaque épisode ! Disponible sur Youtube, seul le 1er épisode est sous-titré en anglais mais heureusement une courageuse blogueuse a traduit tous les épisodes en anglais. Vive le binge watching turc !
Mustafa, petit frère d’Ahmed, qu’il épargnera malgré la loi ottomane séculière.
Diffusée dans de nombreux pays concernés par l’histoire de l’ancien empire ottoman (Moyen Orient, Maghreb, pays de l’Est et Russie, mais aussi jusqu’au Mexique), cette pépite pourrait pourtant séduire l’Europe. Pour l’émission Secrets d’histoire – Soliman le magnifique, Stéphane Bern a d’ailleurs emprunté des passages de la 1ère saison de Muhteşem Yüzyıl.
Nous avons la série Versailles, les turcs ont Muhteşem Yüzyıl.
Cette série permet de plonger dans les intrigues du harem, de comprendre la réalité des femmes qui le peuplent, ainsi que les enjeux auxquels les sultans devaient faire face, autant à l’extérieur que dans leur propre palais, ainsi que la place des janissaires.
Le soufisme, versant ésotérique de l’Islam
Main droite élevée au ciel, main gauche vers les hommes, coiffés d’un bonnet haut, ils tournent et tournent, reproduisant le mouvement du monde.
The world turns, so does the dervish
Cette main droite retransmet l’énergie, la bénédiction de Dieu aux hommes, via la main gauche. Le bonnet symbolise la pierre tombale de leur ego, qu’ils doivent éteindre, ou du moins contrôler.
Ce courant de l’Islam est souvent considéré comme son pan mystique et poétique.
Pour ses adeptes, toute réalité comporte un aspect extérieur apparent et un aspect intérieur caché.
" L’univers est l’Ombre de l’Absolu "
Les rites (parmi lesquels les cinq prières journalières, le ramadan) sont inutiles si l’on ignore leur sens caché, s'ils ne sont pas accomplis avec sincérité.
Représentation d’un religieux soufi au Galata Mevlevi Museum d’Istanbul
Djalal ed din Roumi, dit Mevlana, fonde la confrérie des mevlevis (ou derviches tourneurs) à Konya, en Turquie. Il en existe d’autres, comme par exemple celle des derviches hurleurs.
La danse des mevlevis est leur prière, proche d’une transe. Reproduisant le mouvement du monde, ils tournent sur eux même, dans une position des mains symbolisant la transmission du savoir de dieu vers les hommes.
Les soufis sont de grands poètes qui célèbrent l’amour et Dieu. Ils ont inspiré des œuvres comme les Contes des Mille et Une Nuits ou le poème d’amour de Leyla et Majnoun, les Romeo et Juliette orientaux.
Généralement soufis de père en fils, ils ont d’autres métiers : docteurs, ingénieurs, etc.
Si les croyances de ses adeptes diffèrent de l’Islam classique, ils se réclament également de Mahomet. Mais l’Islam traditionnel considère parfois cette religion avec méfiance et a cherché à la marginaliser.
Le Dieu des soufis est un Dieu d’amour auquel on accède par l’Amour. Pas étonnant qu’ils se soient faits ennemis des djihadistes. En 2017, un attentat dans une mosquée du Caire fait 305 morts parmi la communauté soufie. Cette religion pourtant pacifiste compte beaucoup de martyrs morts pour leurs idées.
A Istanbul durant le règne de Soliman, Mashuki (ou Oğlan Şeyh), prêcheur soufi, est condamné pour hérésie et exécuté à l’âge de 19 ans en compagnie de douze de ses disciples. Le conseil du sultan avait pourtant essayé de l’en faire réchapper.
Mashuki, dans la magnifique série turque Muhteşem Yüzyıl
Atatürk, interdira la religion soufie en 1925.
La fin de l’empire
Tout le monde veut sa part du gateau ottoman.
Dès lors qu’il n’y a plus de conquêtes, il n’y a plus de butins et donc moins de revenus (issus des impôts de nouvelles terres acquises), mais l’armée, toujours là, est chère à entretenir. Pour pallier ce déficit, l’état fait imposer trop de taxes à la population, qui se révolte en différents endroits. La médiocrité de certains sultans et leurs mauvais conseillers, plus intéressés par leurs gains personnels que par le bien de l’empire, n’arrangent pas les choses. Bien sûr le processus de dégradation de l’empire ne s’est pas fait en un jour, mais à cause des distensions, de sa mauvaise gestion, de la corruption et du mouvement de la géopolitique, sa fin est inévitable.
1914.
On croise beaucoup de beau monde à Constantinople. Des écrivains, des diplomates, et beaucoup d’espions, qui se retrouvent aux endroits stratégiques, le mythique Pera Palace en tête.
Il suffisait presque de jeter une pierre par la fenêtre de n’importe quel grand hôtel pour être sûr de toucher un agent secret.
écrivit un fonctionnaire américain.
Les intrigues ne sont plus cette fois dans le harem, mais entre le sultan Mehmed V, l’Europe et la Russie. Durant la 1ère guerre mondiale, "le Bosphore constituait le déversoir de tous les escrocs et espions venus d’Europe ».
Et cela empire après la révolution bolchevique (1917), avec l’immigration de nombreux russes blancs à Istanbul.
Mehmed V est loin d’avoir l’envergure d’un Soliman. Tout ce qu’il souhaite c’est conserver son trône et ne pas se faire emprisonner comme ses frères, quitte à laisser son pays se faire démanteler et partager entre les vainqueurs de la guerre. Il n’a de toute façon que peu de pouvoir et se plie à la politique d’Enver Pacha, ministre de la guerre et véritable dirigeant du pays, qui, pour raison économique, lui fait tourner sa veste et choisir le camp de l’Allemagne… Mauvais choix; Istanbul est occupée par les alliés en novembre 1918. Mustapha Kemal arrivant à reprendre petit à petit le contrôle du pays, Mehmet VI (le frère de Mehmet V décédé en 2018) fuit.
Considérant que ma vie est en danger à Constantinople, je me réfugie auprès du gouvernement britannique et demande mon transfert aussitôt que possible de Constantinople en un autre lieu.
Son cousin Abdul-Medjid est alors nommé calife (en d’autres termes, chef de l’Islam mondial) mais non sultan.
469 ans de sultanat prennent ainsi fin. Il promulgue la 1ere constitution ottomane, mettant ainsi fin à des siècles de pouvoir absolu, mais fait machine arrière 2 ans plus tard. En 1908, le parti nationaliste des Jeunes-Turcs (Comité Union et Progrès) le renverse et prend le pouvoir. Pour poursuivre leur "panturquisme" et par crainte qu'ils se rallient aux troupes russes ennemies, le trio infernal des Trois pachas Talaat, Enver et Djemal ordonne le massacre des tous les arméniens, communauté non musulmane de Turquie. 1.500.000 victimes, entre 1915 et 1917. Un génocide toujours non reconnu par la Turquie...
A la veille de la première guerre mondiale, l’empire ottoman est peuplé de près de 15 millions de personnes, de la Mecque à Jérusalem, de Bagdad à Ankara. A la fin de celle-ci, le traité de Sèvres prévoit un démembrement de l’empire, inacceptable aux yeux des nationalistes, menés par un militaire de carrière né en Europe (à Thessalonique), le futur général Mustafa Kemal Atatürk. Il mène une contre offensive en dépit de l’autorité du sultan, et remporte la bataille décisive des Dardanelles à Gallipoli, contre les alliés. La balle a changé de camp, Ataturk peut maintenant imposer les limites de son propre pays.
Atatürk, père de la patrie, est adoré en Turquie. Comme un De Gaulle turc…
Le califat est aboli en 1922, les membres de la maison d’Osman doivent dégager du territoire. Mehmed V fuit, et Atatürk, homme providentiel aux yeux de la population – il a renversé une situation désespérée –, devient le premier président de la nouvelle République de Turquie. Il transfère la capitale à Angora et la renomme Ankara. Il veut un pays laïc, la religion devant pour lui être confinée au domaine privé (à la maison). Athéiste militant, il ne s’oppose pas à la foi mais au fatalisme et au cléricalisme. Même s’il sen défend, il se conduit en dictateur et se débarrasse littéralement de toute opposition (cela devrait vous rappeler quelqu'un...). Son nouveau pays doit se moderniser en s’inspirant fortement de l’occident, notamment en ce qui concerne l’émancipation de la femme.
Jusqu’alors considérée comme un être inférieur, la femme ne pouvait se promener dans les rues, même avec son mari, censée rester confinée à la maison (le haremlik) : une esclave bonne à faire des enfants et le ménage. Mustafa Kemal les dévoile littéralement, car il considère que cela couvre la nation de ridicule. Il abolit la polygamie, la répudiation, fait du harcèlement public un délit, leur octroie ont le droit de vote et équilibre les droits de succession pour qu’elles ne soient plus lésées.
Il fait adopter le calendrier grégorien et reformer l’alphabet : le taux d’alphabétisation monte en flèche. Les turcs doivent se choisir un nom (jusqu’alors les personnes ne se désignaient qu’avec un prénom et rajoutait celui du père). Les terminaisons « non turques » en «-poulos », « -ian », « -off » sont interdites. Kemal devient alors Atatürk, le « père des turcs ». Le jour de repos du vendredi est remplacé par le dimanche, Sainte Sophie est restaurée dans sa splendeur byzantine, les anciens palais, dont Topkapi, sont ouverts au public.
Istanbul est majoritairement chrétienne, or Atatürk souhaite plus que tout un pays homogène, doté d’une identité forte. Ayant vu l’empire rongé par le nationalisme des minorités religieuses et ethniques, il entame une purification ethnique, et force les non-turcs à émigrer. Des familles chrétiennes qui avaient vécu dans l’empire ottoman depuis des générations, devaient dorénavant le quitter, en laissant leurs richesses derrière elles, au profit des nouveaux « turcs », musulmans.
Il meurt d’une cirrhose alcoolique au palais de Dolmabahçe le 10 novembre 1938 à 9h05, heure à laquelle toutes les horloges du palais ont été arrêtées. Tous les 10 novembre à 9h05, les Turcs respectent une minute de silence en signe d'hommage au père de tous les turcs.
Ainsi, la ville fut capitale impériale pendant près de 16 siècles.
S’il ne reste de Byzance que les citernes basiliques et l’église Saint-Sauveur-in-Chora, les édifices religieux sont régulièrement restaurés.
Sainte Sophie et la Mosquée Bleue n’ont pas fini d’éblouir leurs visiteurs.
Saviez vous ?
Une source d’inspiration pour le petit et grand écran
S’il est avéré que le siège de Constantinople a inspiré la bataille des Champs du Pelennor dans Le Seigneur des anneaux, je me pose la question pour Game of Thrones... Les janissaires, arrachés à leur famille dès leur plus jeune âge pour devenir de parfaits guerriers sans peur, me font penser aux Immaculés de Daenerys.
Les immaculés de Daenerys.
De plus, le feu grégeois, utilisé lors de l'épisode de la bataille de la Neva, a bien existé, et fut inventé à Constantinople.
Le « Greek fire » ou feu grégeois, utilisé ici par un navire byzantin.
Et sinon, Kulezi, « tour » en turc, ressemble étrangement à khaleesi non? Je dis ça, je dis rien !
La Route de la soie, la mondialisation avant l’heure
Comme Samarcande, Istanbul évoque dans l’inconscient collectif la mythique Route de la soie. Byzance, point de passage obligatoire entre l’Orient et l’Occident, en était l’aboutissement. Cette grande période d’échanges autant commerciaux que culturels et religieux, initiés par la Chine au 2ème siècle avant JC, a contribué à l’essor et au rayonnement de la ville durant près de 800 ans. Les Seldjoukides, et plus tard les ottomans, lui doivent leurs richesses.
Les caravaniers et leurs troupeaux de chameaux bravaient les dangers (attaques de brigands) à travers oasis, déserts et montagnes, pour apporter les précieuses productions du monde entier. Quand l’Est voulait de l’or et de l’ivoire, l’Ouest réclamait des fourrures, des épices indiennes, des bijoux, des fruits, des tapis Perse (déjà le Must !).
Les chameaux sont les compagnons indispensables des pèlerins, diplomates, espions, missionnaires, et bien sûr marchands – parmi lesquels Marco Polo – qui arpentent la route: ils résistent à des températures extrêmes, peuvent parcourir jusqu’à 50 km/jour et porter une charge de 200 kilos.
Les caravansérails, havres de repos et forteresses érigées pour protéger les caravaniers en échange d’une taxe sur leurs produits, constituent les vestiges de ce passé de nomadisme commerçant.
Le caravansérail Neyestānak (Iran)
A l’apogée de ces échanges, les convois partaient de Xi'an (là où se trouve la célèbre armée de terre cuite du 1er empereur de Chine) alors capitale de la Chine, jusqu'à Antioche (actuellement en Turquie). Mais le cœur de cette route parcourant 13 pays sur près de 8000 km, étaient à Samarcande, en Ouzbekistan. Les Parthes et les Sodgiens, peuples fondateurs de la ville, s'assuraient la maîtrise des itinéraires caravaniers. Ils achetaient de la soie aux Chinois et l’acheminaient pour la revendre aux Syriens, puis aux Grecs.
La Route de la soie doit son itinéraire au diplomate chinois Zhangqian, parti rechercher des alliances bien au delà des frontières de son pays, pour l'empereur Wudi.
Au départ « Route de la Jade », elle sera renommée au 19ème siècle du nom de la marchandise la plus précieuse et la plus chère de ses marchés : la soie.
Au départ simple monnaie d’échange pour les chinois – qui en ont conservé pendant longtemps le secret de production – ainsi que pour les maharaja indiens, elle éveille l’intérêt de l’occident. Les rois et les femmes, l’adore.
Grâce à ce lien, longtemps unique, entre la Méditerranée et la Chine, des peuples lointains ont pu échanger leurs richesses, mais aussi leurs idées.
Si on se plait à imaginer les épices, étoffes, pierres précieuses, parfums et bijoux sur les étals du Grand Bazar, ce premier "commerce international" n’a pas servi qu’à enrichir les peuples, elle a provoqué un choc des cultures et des religions, influencé les arts et permit la circulation des légendes, des idées, savoirs, découvertes et innovations, comme par exemple la boussole, la poudre à canon, la fabrication du papier ou l'imprimerie, à une époque où le monde n’était pas encore aussi vaste : l’Amérique n’a pas encore été découverte… On lui doit aussi l'introduction du bouddhisme, puis de l’Islam en Asie centrale et en Chine. Des profonds bouleversements qui ont bousculé les cartes de l’histoire et brasser les populations. Il existe même une génétique de la Route de la soie, qui se devine sur les faciès des populations de certaines villes turques, comme Konya, ancien bastion de seldjoukides.
Des caravanes aux caravelles. De la Route de la soie à la Route des épices
A partir de la prise de Constantinople (1453), les échanges par voie terrestre et donc la Route de la soie, seront progressivement abandonnés, au détriment du commerce maritime : les marchandises sont trop chères car compliquées et longues à acheminer et les voies ne sont pas sûres (trop d’attaques). Le prix trop élevé des marchandises pousse les Occidentaux a cherché une nouvelle route vers les Indes, et les chinois, méfiants vis à vis de l’islamisation grandissante, préfèrent également développer leurs échanges par la mer. De plus, la soie est dorénavant également produite en Europe.
Ces conquêtes par les mers permettront alors de grandes découvertes, dont l’Amérique de Christophe Colomb.
Encore aujourd’hui le Bosphore reste une route d’échange : il accueille près de 50 000 cargos par an.
J’ai demandé la force
Et Dieu m’a donné des épreuves pour me rendre fort
J’ai demandé la sagesse
Et Dieu m’a donné des problème à résoudre
J’ai demandé la prospérité
Et Dieu m’a donné un cerveau et des muscles pour travailler
J’ai demandé du courage
Et Dieu m’a donné des gens à vaincre
J’ai demandé l’amour
Et Dieu m’a donné des gens à aider
J’ai demandé des faveurs
Et Dieu m’a donné des occasions
Je n’ai rien reçu de ce que je désirais…
J’ai reçu tout ce dont j’avais besoin.
Poème soufi